C'est où, chez moi ?
photo: A trekker
Subeptricement je suis devenue nomade. C'est la réflexion d'une amie proche qui m'a mise sur la route. Alors que je la rencontrais à Bruxelles, peu après mon retour de Paris où un de nos fils séjourne et travaille pendant un an et où j'anime des stages de récits de vie, après deux mois passés en Dordogne et sur le chemin de retour vers Tellin en Ardenne, elle m'a demandé: "Et alors, c'est où chez toi , à présent?" J'ai entendu la question et j'ai fait silence, le temps de la réflexion. La réponse est venue comme une évidence qui attendait d'être nommée: "Chez moi, ce n'est plus dans un lieu mais dans un réseau d'endroits. Partout où nous passons, nous avons aujourd'hui des points de repères et des connaissances et le dessin de nos déplacements mais aussi des lieux qui nous reçoivent à chaque carrefour tisse comme une grande toile au sein de laquelle nous circulons sans jamais nous sentir vraiment étrangers, sans jamais appartenir tout à fait non plus. Comme des gens du voyage."
Partout les commerçants reconnaissent Pierre qui aime faire les courses et choisis ses lieux d'élection aussi bien dans les quartiers de la ville que dans les villages. Pour ce qui me concerne, ce sont davantage des liens tissés autour de l'écriture ou d'anciennes amies et amis qui viennent me retrouver là où je suis. Il m'apparaît cependant que tous ces lieux ont des points en commun : nous les avons choisis et élus, nous y avons perché un nid qui nous abrite dans une juste harmonie entre la sécurité et la liberté. D'aller, de voleter de l'un à l'autre nous empêche d'y poser trop d'habitudes mais nous permet de les redécouvrir chaque fois avec un regard de reconnaissance.
Parfois, il m'arrive la nuit d'ouvrir les yeux et d'attendre quelques instants pour me réorienter. Suis-je à l'hôtel, dans un studio loué pour quelques jours, dans une de nos maisons? Puis reviennent les marquages, les traces, le morceau d'histoire qui raccorde cette chambre aux autres chambres. Et chaque chose reprend sa place dans la texture de la vie.
Ce nomadisme est arrivé sans l'avoir vraiment voulu ou programmé, au fil des désirs et des activités. Comme un napperon ou un rideau qui se crochète, point à point, maille après maille, avant de former un motif à travers lequel de l'intérieur on voit l'extérieur et de l'extérieur on imagine l'intérieur. La toile des lieux m'a tissée multiple et unifiée. Moi, la sédentaire, je suis devenue nomade.