Les petits cailloux
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Depuis quatre jours, nous sommes à Paris. Entre mes rendez-vous et les rencontres programmées, des espaces libres invitent à des visites et des découvertes. Toutes m'ont menée vers les petits cailloux. De manière si diverse qu'il m'a fallu un temps pour me remémorer cet itinéraire imprévu, mais sans doute pas impensé.
Retrouver pas à pas, pierre à pierre, le chemin... D'abord le désir de pénétrer dans "le labyrinthe des désirs retrouvés", le dernier livre de Jean-Pierre Otte. Visiter les catacombes dont j'ignorais tout. Nous avons trouvé porte close, un défaut dans la ventilation condamnait l'entrée.
Nous avons choisi, Pierre et moi, de nous replier sur d'autres tombes, celles du cimetière du Montparnasse tout proche. C'était dimanche et le soleil appelait à la promenade dans les allées plantées d'arbres encore en feuilles. L'automne s'affichait discret et la douceur de l'air invitait à l'abandon. Munis d'un plan, nous avons vogué parmi les défunts, sans programme établi. Baudelaire nous a reçus du haut de son cénotaphe écrasant, puis au gré de nos recherches tatillonnes, Serge Ginzburg (Gainsbourg) nous a accueillis sur une simple pierre posée à même le sol, recouverte de tickets de métro du "Poinçonneur des Lilas", de mégots de "Gitanes bleues". Au milieu de tout ce charivari, quelques cailloux marquaient la présence d'un passant, d'une passante. Quelques fleurs fânées témoignaient de la présence d'ombres enamourées. Plus loin encore, la couche de Marguerite Duras, celle de Philippe Noiret, puis enfin une visite à Jean-Paul Sarte et Simone de Beauvoir. Ci et là, incongrues sur la pierre lisse des amants de l'existentialisme, quelques traces de baisers, rouge à lèvres en perdition, comme sur les lettres adressées aux prisonniers en temps de guerre. Et partout, encore et toujours, des petits cailloux, signe de l'intemporalité des mémoires anonymes qui savent le fil rouge des énergies qui bravent la mort.
Puis aujourd'hui, une visite au musée "L'adresse" de la poste qui annonçait une exposition sur le "facteur Cheval", cet habitant de la Drôme qu recueillit au gré de ses pérégrinations de postier, des petites pierres qui allaient lui permettre au fil des jours, des semaines et des années, d'ériger un Palais idéal. Attirée par l'étonnante aventure de cet autodidacte d'un monde imaginaire et fantastique, bravant les limites étriquées du quotidien, j'ai acheté le livre qui témoignait de son rêve.
Dans la préface de Gilbert Haffner, Directeur du musée de la poste, je lis " Il faut savoir toucher une pierre, la caresser, la tourner et la retourner dans la main pour qu'elle transmette un peu de son énergie. Il faut lui donner vie pour l'assembler à d'autres pierres et construire ainsi, peu à peu, un monument, ou mieux encore un rêve de pierre".
Me vient alors cette pensée : combien sommes-nous à faire pareil, avec les mots, pour bâtir, jour après jour, mot à mot, un texte, un livre ou mieux encore un rêve? Combien à poursuivre la quête : celle, fantastique, d'une vie à la rencontre d'autres vies dans l'écrin de la langue?