La lecture du monde.
Les enfants sont rentrés, les touristes repartent. Il fait moins chaud, déjà les feuilles jaunies parsèment l'herbe grillée du jardin. Je reste seule sur la terrasse à prendre un bain de pleine lune. Il me semble qu'elle sourit, la face légèrement ridée. Un halo chaleureux l'enrobe et incite à la confidence. Je lui souffle la crainte sourde des pièges tendus par les mois à venir, le retour vers le nord et l'obscur, les feuilles de l'agenda trop emplies, le poids des devoirs jamais terminés, l'angoisse des "jamais plus". Jamais plus de liberté, jamais plus de lumière éclaboussante et de rires d'enfants. Comme si, à chaque fois, l'été et le plaisir, en couple soudés, chutaient dans une oubliette sans fond. La Dame blanche là-haut m'écoute et dans le silence, je l'entends bruire de tous les crissements de la nuit.
La lune et moi, en colloque singulier, tentons d'éclairer la face d'ombre du monde. Le mien. Je reviens de trois jours et trois nuits passés au bord de l'océan atlantique et je lui confie la trace des signes épiés sur le sable. Je lui chuchote la joie de saisir dans l'objectif la rencontre de deux jeunes pieds en liberté, l'empreinte sensuelle des orteils en éventail. Champollion en herbe, je lui murmure la découverte d'une écriture oiseau posée sur la plage et saisie avant d'être léchée par la marée montante. Confiante, ellle me regarde et opine. Je suis sur le bon chemin, celui de la lecture du monde. Le mien.
Photo: A. Trekker
Je lui dis mes nuits aussi belles que mes jours. Le plaisir de faire mon lit dans une maison mobile, caravane posée entre les pins sur une langue de terre qui s'avance dans l'océan. Je lui murmure le secret de la roulotte de mon enfance, inventée dans mes jeux solitaires. J'y partais à la conquête de l'ouest, immigrante de la première heure. Alors elle rit. La lune doucement se secoue, jouant à saute-mouton avec la cheminée des voisins. Saurai-je garder, dans le coffre à trésor de la mémoire, la jubilation de ce rendez-vous avec mon enfance? Celui du jeu avec le monde. Le mien.
Voici venu le temps de lui révéler l'initiation. J'ai assisté aux amours clandestines d'un très petit galet avec un grand coquillage aux lignes effilées. J'ai saisi combien les contraires s'attirent et se rejoignent. La force avec la fragilité, le plein avec le vide. Le désir avec le plaisir. Mais déjà la lune file, boule ronde et tendre, par-dessus le toit, me laissant à ma rêverie. Invisible, sa présence m'accompagne. Je ne confonds plus l'absence avec l'abandon. Je sais qu'ici-bas, une nouvelle aventure m'attend. Celle d'une maison mobile, une roulotte qui dit que rien dans la vie ne doit rester figé. Ni la peur, ni l'amour, ni les pieds, ni la pensée. Le temps du voyage est venu. Tant pis pour l'agenda trop chargé. Pour lui aussi, le temps est venu de doucement se laisser effeuiller. Et laisser de la place au monde. Le mien.
Photo: A. Trekker